12 mars 2015 : le Club de la Presse Nantes Atlantique : La liberté de la presse, quand ça nous arrange ?

Environ 80 personnes ont assisté au débat organisé par le Club de la Presse Nantes Atlantique dans les locaux de Sciences Com, jeudi 12 mars 2015, en présence des adhérents de l'Observatoire des médias. Deux mois après l'attentat contre Charlie Hebdo, quelles réflexions ont émergé autour de la question fondamentale de la liberté de la presse ?
Pour en débattre étaient présents des spécialistes et/ou acteurs de premier plan du monde des médias : Patrick Eveno, professeur à la Sorbonne et président de l'Observatoire de la déontologie de l'information ; Philippe Guihéneuf, président des Citoyens de l'info (ex-Indignés du PAF) ; Béatrice Limon, rédactrice en chef de Ouest France à Nantes et Nicolas de la Casinière, journaliste (Libération, Reporterre, La Lettre à Lulu), illustrateur et écrivain. Les journalistes Frédéric Lossent (JRI) et Antoine Denéchère (France Bleu Loire Océan) animaient le débat.
Voici les quatre principales questions abordées lors de ces échanges :
  • Quel est le rôle de l'observatoire de la déontologie de l'information ? Comme l'explique son président, Patrick Eveno, l'ODI est une association tripartite réunissant des représentants des journalistes, des médias et du public. Son objectif : restaurer la confiance du public envers les journalistes. Cela passe par l'écoute des critiques émises par le public mais aussi par la mise en avant des règles professionnelles des journalistes (vérifier et hiérarchiser les informations, croiser ses sources...). Son rôle n'est pas de pointer du doigt ou de stigmatiser tel ou tel journaliste mais de repérer les emballements médiatiques et les effets de système.
  •  Comment s'est comportée la presse pendant les attentats contre Charlie Hebdo ? L'ODI vient de publier un rapport sur la manière dont la presse a traité cet événement, et Patrick Eveno a présenté ses résultats en avant-première lors du débat. Selon lui, « on a frisé l'emballement médiatique. On a eu l'impression d'être embarqués dans une émission de télé-réalité haletante. Attention toutefois à ne pas diaboliser les chaînes d'information en continu, qui ne peuvent pas se contenter d'un écran noir quand tout le monde est en haleine. Reste à les utiliser avec parcimonie.« . Ce à quoi la rédactrice en chef de Ouest France, Béatrice Limon, a réagi en apportant la nuance entre information en direct et information en continu. "Les journalistes doivent avoir le temps de vérifier, trier, mettre en perspective."  La "présence permanente d'un ou plusieurs journalistes chevronnés au desk central » est préconisée par Patrick Eveno afin de mieux encadrer ces longues séquences d'informations en direct. Le président de l'ODI ajoute que « des erreurs ont été commises par les journalistes couvrant les événements, qui auraient pu être dramatiques". Notamment ce journaliste de BFM, vraisemblablement proche des services de renseignement et qui a été le premier à diffuser l'identité des auteurs de l'attentat en la personne des frères Kouachi. Ce alors même que l'AFP s'y était refusé quelques heures auparavant pour permettre à l'enquête d'avancer... "C'était peut-être un acte militant de sa part mais cela aurait pu être une erreur dramatique. », a commenté le président de l'ODI. En revanche, Patrick Eveno a jugé que le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) était sorti de son rôle en mettant en demeure plusieurs médias sur leur traitement des attentats. Pour l'intervenant Philippe Guihéneuf, le CSA se doit au contraire de « vérifier le travail des journalistes de l'audiovisuel".
  • Comment restaurer la confiance des citoyens envers les médias ? "Montrer que l'on fait sérieusement son travail.", a estimé Béatrice Limon. « Les lecteurs de Ouest Francese considèrent déjà comme propriétaires du journal. Mais il peut être tentant d'instaurer un rendez-vous régulier avec les lecteurs et de leur ouvrir les portes de la rédaction pour leur montrer comment nous travaillons. » Un avis que ne partageait pas le journaliste Nicolas de la Casinière : « Cela peut être très gadget d'accueillir les lecteurs au sein d'une rédaction. Une rédaction, ce n'est pas un zoo, ni un éco-musée. Le risque, comme les journalistes sont des « grandes gueules », c'est d'avoir des échanges assez déséquilibrés entre des lecteurs qui ne peuvent pas trop poser de questions et des journalistes qui sont dans leur élément.« .
  • En bon historien des médias, Patrick Eveno a rappelé que le souhait du public de prendre part à la vie des rédactions remonte aux années 1950. Lorsque Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde a été renversé par son conseil d'administration en 1951, les journalistes se sont mis en grève et les lecteurs duMonde ont créé la 1re fédération des lecteurs. Aujourd'hui, il existe nombre de sociétés de lecteurs et de médiateurs censés faire le lien entre le public et la rédaction du média.
  • La liberté d'expression des médias est-elle totale ? Comme l'a rappelé Patrick Eveno, la liberté ne va pas sans responsabilité. En principe, selon la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la liberté est totale. Néanmoins, les journalistes n'ont pas le droit de tout faire car ils sont tenus à un certain nombre de règles, communes à tous les citoyens, qu'il faut rappeler : pas le droit de diffamer, d'insulter, de faire l'apologie du racisme et du terrorisme, etc. En dehors de ces interdits, la démocratie suppose le dialogue, et ce, même si la conversation est animée. À la question du public « La provocation, notamment via les caricatures, est-ce de la liberté d'expression ? », l'historien a répondu et terminé son intervention en citant un extrait d'un jugement de la cour européenne des droits de l'homme : « La liberté d'expression vaut aussi pour les informations qui heurtent, choquent, inquiètent l'État ou une partie de la population. »
Publié par Florence Pagneux
17 mars 2015 - sur le site du Club de la presse : www.club-presse-nantes.com
Avec leurs autorisations.
Mis à jour le 22 mars 2022.
https://up.ppksup.univ-nantes.fr/conferences-et-rencontres/cycle-observatoire-des-medias/12-mars-2015-le-club-de-la-presse-nantes-atlantique-la-liberte-de-la-presse-quand-ca-nous-arrange