Conférence du 23 mars 2018 : Daniel Cornu "L'éthique et la déontologie du journalisme au temps de l'internet"

Les conditions permettant d’informer aujourd’hui le public sont soumises à des transformations fondamentales qui peuvent à terme modifier de fond en comble la pratique du journalisme:
  1. Irruption du public sur le terrain des journalistes par la mise en ligne de blogs, sites, voire, depuis téléphones intelligents de photos, vidéos ou tweets : le choix des nouvelles qui était une prérogative des journalistes ne l’est plus.
  2. Perte d’influence sur l’opinion publique des journalistes qui avaient un magistère à la grande époque de la presse d’opinion – au début du XXe siècle G. Tarde, du Collège de France, pouvait ainsi écrire « Il suffit d’une plume pour mettre en marche des millions de langues ». Aujourd’hui les articles les plus partagés viennent de sites alternatifs, ce qui ne vient pas des médias passe pour plus authentique et crédible …
  3. Essor d’une économie des médias qui inscrit toujours plus la rentabilité comme critère de vérité : en temps réel des « websismographes » donnent aux sites d’information le nombre de lecteurs de leurs articles ce qui y conditionne leur maintien et leur place.
  4. Du fait des baisses de ventes des journaux et du transfert de la publicité sur internet les ressources de la presse sont en forte diminution face à cette concurrence de contenus gratuits avec ceux, payants, élaborés par ses professionnels : comment la presse peut-elle continuer à informer avec les ressources nécessaires, notamment pour trier, recouper, synthétiser, valider les informations surabondantes d’une « actualité en pièces détachées » ou pour prendre du recul face à des points de vue singuliers ? C’est pourtant de plus en plus nécessaire …     
En somme par leur gratuité et leur immédiateté les nouvelles technologies des médias soumettent l’information à des contraintes nouvelles qui peuvent conduire à instrumentaliser le rôle de contre-pouvoir que doit exercer, pour la démocratie, le système médiatique.
Peut-on encore aujourd’hui déployer une éthique de l’information capable de prendre la mesure des évolutions actuelles sans s’élever systématiquement contre les changements ?
Ici on peut distinguer trois niveaux, ceux de l’éthique, des normes (comment bien faire ?) et des pratiques. Seul le premier a été développé. L’éthique de l’information c’est trois valeurs surtout, la liberté, la vérité et le respect de la personne :
  1. La liberté d’informer pour l’intérêt public et de le faire avec indépendance et distance
  2. La vérité, à établir par la fiabilité des informations et sources, face aux erreurs qui peuvent aller de négligences à des manipulations, alors que, dans un « journalisme de paris », il faut choisir de diffuser, dans les informations qui arrivent en flux continu celles qui sont « prenables », quitte à les relativiser ou à les retirer plus tard. Autre menace contre la vérité les algorithmes opaques de Google, Facebook ou Amazon enferment les internautes dans des bulles où ne leur présente que ce qui devrait leur plaire, ce qui les empêche de voir des points de vue adverses et de se faire dialectiquement une opinion. Cela, plus la diffusion de « fake news » par ces GAFA entraîne leur mise en cause après le Brexit ou l’élection de Trump.  Alors qu’ils continuent à en diffuser Facebook et Wikipedia ont édité des guides pour reconnaître « fake news » ou complotismes et Google vient d’en annoncer un mais les pouvoirs publics pourront-ils les canaliser ? Ces dernières années les pays européens ont publié des codes déontologiques avec des critères s’appliquant plus ou moins aux canaux d’information autres que le papier.  C’est celui de la France (2011) qui le fait le moins.
  3. Le respect de la personne n’était traditionnellement pas dénué de précautions face à des procès possibles mais avec internet un problème émerge, le « droit à l’oubli » qui devrait être garanti, peine purgée, notamment pour permettre la réinsertion de qui a pu, à un moment, ne pas avoir eu une conduite honorable. Jusqu’en 2014 les moteurs de recherche l’ignoraient mais une directive de l’union européenne leur impose de ne plus afficher des informations qui ne correspondent plus à la réalité, excepté pour les personnes qui ont eu un rôle dans la vie publique.
Aux journalistes de respecter ces valeurs pour s’accréditer sur leurs façons de travailler plus que par leur statut de « pros ».  
Le journalisme doit être utile, c’est-à-dire à la fois critique et constructif.

Notes de Jean-Pierre Benoit
Mis à jour le 22 mars 2022.
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